· De Tamara Balliana
Découvre les premiers chapitres de Noël est une arnaque !
Voici les premiers chapitres de Noël est une arnaque ! Prêt.e pour une romance de Noël sur fond de cosy mystery ?
Blog Les Dernières Actus d’Illwiller
Un salon de thé Comme chez soi
Par Sophie Hoffmann
Bienvenue à tous pour la chronique mensuelle des Dernières Actus d’Illwiller consacrée à l’installation des nouveaux commerçants. Ce mois-ci, nous plongeons dans l’atmosphère chaleureuse et accueillante d’un nouvel établissement qui a ouvert ses portes au cœur de notre village : le salon de thé Comme chez soi.
Tenu par Clémentine Latour, fraîchement arrivée dans la région, Comme chez soi propose une évasion gustative au sein d’un cadre convivial et réconfortant. Clémentine souhaitait créer un espace « comme à la maison », où chacun pourrait se sentir accueilli et apprécié.
Au menu, une variété de thés sélectionnés avec soin, des boissons chaudes originales, des gâteaux et des tartes maison. Clémentine insiste sur la qualité et l’origine des produits qu’elle utilise, une philosophie qui résonne bien avec les valeurs de notre village.
Espérons que sa fraîcheur et son dynamisme sauront convaincre les plus récalcitrants à pousser la porte de Comme chez soi. En effet, une rumeur court dans le village : la reprise du local commercial par Clémentine aurait coupé l’herbe sous le pied à plusieurs initiatives locales. Encore une fois, la mairie est pointée du doigt pour ne pas être intervenue auprès du propriétaire afin de l’inciter à favoriser un entrepreneur illwillerois. Contacté par nos soins, le cabinet du maire ne fait pas d’autre déclaration que celle félicitant Mlle Latour pour son installation dans notre belle commune.
J’adore ma nouvelle vie !
Je finis d’appliquer mon rouge à lèvres et souris à mon reflet dans le miroir. Je suis remontée à bloc pour une nouvelle journée de travail dans mon salon de thé, ouvert il y a tout juste un mois : Comme chez soi. Cet endroit, c’est l’accomplissement dont beaucoup ne m’ont jamais crue capable et pourtant, je l’ai fait ! À vingt-six ans, je suis ma propre patronne. J’ai osé plaquer ma vie à Lyon : mes amis, mon job, mes parents. Bref à peu près tout sauf mon mec (vu que je n’en avais pas) pour venir m’installer dans un village d’Alsace. Je me sens bien ici, au milieu des maisons à colombages, des vignobles, des cigognes et des villages aux noms imprononçables pour ceux qui n’ont pas été biberonnés au munster.
Si j’ai atterri à Illwiller, ce n’est pas par hasard. Sur cette terre ancrée entre la ligne bleue des Vosges et le massif de la Forêt-Noire, j’ai des souvenirs heureux. Ceux de vacances chez ma grand-mère Frida, qui y réside toujours. C’est aussi pour profiter d’elle que j’ai décidé de m’installer dans le coin. Il faut dire qu’elle a réussi à m’attirer ici avec un argument de poids : un de ses amis de la maison de retraite possède un local sur la place principale d’Illwiller. C’est une maison traditionnelle qui abritait une mercerie autrefois, avec un appartement de fonction juste au-dessus. L’ami d’Oma[1] voulait louer l’ensemble à quelqu’un de confiance et elle a réussi à le convaincre, par je ne sais quel miracle, que cette personne, c’était moi. À l’instant où j’ai poussé la porte du magasin qui sentait la poussière et qui n’avait pas dû connaître de coup de peinture depuis le mandat de Mitterand, j’ai su que c’était là que je voulais m’installer.
Je noue mes cheveux blonds en queue-de-cheval et attrape mon téléphone sur la table basse du salon. Ou devrais-je dire, la surface polyvalente qui sert aussi bien de table de nuit, de bureau, d’endroit pour manger ou encore de stockage. Mon logement fait la taille d’un mouchoir de poche, alors chaque élément qui le compose a de multiples fonctions. Si je rêve parfois d’avoir un peu plus d’espace, je me convaincs chaque jour de ménage que finalement, c’est bien suffisant pour moi seule. Surtout que je passe beaucoup de temps en bas, chez Comme chez soi. Les travaux de rénovation ont été longs étant donné que j’en ai réalisé une grande partie moi-même pour ne pas mettre trop à mal mes économies. J’ai eu d’ailleurs mon lot de déconvenues et de moments de découragement. Mais depuis l’ouverture, mon optimisme est revenu. Ce n’est pas encore le succès fou, mais je suppose qu’il faut laisser le temps aux gens de se faire à l’idée qu’ils peuvent maintenant déguster une pâtisserie ou s’offrir une boisson chaude au cœur même de leur village. Avec les festivités de Noël qui s’annoncent sur la place, j’ai bon espoir que les Illwillerois qui n’ont pas encore poussé ma porte le feront.
Seulement un escalier à descendre et une porte à fermer entre mon espace de vie et de travail. Fini les trajets interminables dans les bouchons pour me rendre au boulot. Rien que ça me conforte dans l’idée que j’ai pris la bonne décision.
Je fonce directement dans la petite cuisine située derrière le comptoir. Je dois mettre au four les viennoiseries de la matinée, avant l’arrivée des premiers clients. Même si Comme chez soi est ouvert depuis peu, j’ai déjà quelques habitués qui ne seront pas contents si leur petit pain au chocolat[2] n’est pas tout chaud pour l’ouverture !
Bon OK. Je n’ai pas des habitués, mais une seule habituée, pour l’instant. Monique, une soixantenaire qui feuillette des revues de botanique et qui m’a demandé le premier jour si le lait d’amande était fait maison.
Pendant la cuisson, j’allume le percolateur, range sous le bar les tasses qui ont été lavées et vérifie le stock de consommables dont je vais avoir besoin à portée de main. Je fais ensuite un tour en salle pour installer les chaises qui ont été retournées hier soir pour passer la serpillière. Je n’ai pas encore ouvert les rideaux, mais je sais que plus tard, les rayons du soleil hivernal filtreront à travers les fenêtres à croisillons, créant des jeux d’ombres et de lumières sur le mur que j’ai peint en rouge carmin. Cette salle a le charme d’une maison un peu biscornue. Plus qu’un commerce, c’est un endroit que j’ai imaginé comme un lieu de vie. Quand j’ai entamé les travaux, j’ai voulu qu’il soit à l’image d’une maison douillette, un cocon réconfortant. C’est d’ailleurs pour ça que je l’ai nommé Comme chez soi. En espérant que des clients s’y sentiraient assez bien pour l’imaginer comme un incontournable de leur quotidien.
Chaque meuble a été chiné par mes soins, des tables en bois patiné aux chaises dépareillées, en passant par ces vieux fauteuils bordeaux dans le coin près de la cheminée. Pas plus tard qu’hier une jeune femme a passé l’après-midi à lire dans l’un d’entre eux, chose qui m’a ravie presque plus que le fait qu’elle ait réglé une belle note. Apparemment, elle a trouvé mes chocolats chauds aussi passionnants que son thriller.
Sur le pan de mur derrière le comptoir, j’ai installé des étagères qui accueillent une sélection hétéroclite de tasses et de théières, témoins silencieux de conversations et de moments partagés. Je me plais à leur imaginer un passé. Un service à thé en porcelaine fine aurait assisté à des goûters sophistiqués dans une maison bourgeoise, tandis qu’une cafetière en étain a été le témoin de nombreuses réunions de famille joyeuses et bruyantes. Toutes ces heures à écumer les brocantes de la région n’auront pas été vaines !
L’odeur des pâtisseries qui cuisent emplit déjà la pièce, dans quelques minutes, le murmure des clients et le tintement des cuillères résonneront harmonieusement. Chez Comme chez soi, le temps s’écoule à son propre rythme, du moins, c’est l’impression que j’en ai !
La sonnette de la porte arrière me tire de ma rêverie. Je jette un coup d’œil à l’horloge franc-comtoise, vestige de l’ancien appartement de ma grand-mère. Elle indique qu’il est bientôt 7 heures et qu’il va falloir que je lève le rideau. Je préfère laisser Rémi, mon serveur, s’en occuper, mais on dirait qu’il est en retard ce matin, à moins qu’il ait juste oublié ses clés et que ce soit lui qui sonne ?
— Bonjour, Clémentine !
Il s’agit du livreur de mon fournisseur de café. Il me tend quelques cartons que je m’empresse d’aller poser dans la réserve.
— Alors, prête pour votre premier marché de Noël ? me demande-t-il alors que je signe le bon de livraison.
— Absolument pas ! Je n’ai même pas encore installé les décorations dans la boutique. J’ai vraiment mis toute mon énergie à concocter une carte spéciale pour les fêtes, ces derniers jours. Le sapin et les guirlandes vont devoir attendre encore un ou deux jours !
Le livreur fronce le nez et me met en garde :
— Ne tardez pas trop tout de même. Vous savez, ce n’est pas très bien vu dans le coin de ne pas avoir l’esprit de Noël. C’est mauvais pour le commerce.
— Je comprends. Mais promis, Comme chez soi ne va pas tarder à se transformer en repaire du Père Noël. Et les clients se presseront pour venir goûter mon Étoile de Noël chocolatée.
Le livreur me lance un regard sceptique, visiblement peu perméable à mon enthousiasme. Peut-être est-il étranger à la magie des affirmations positives ?
— Imaginez, chocolat chaud avec muscade, cannelle, girofle, vanille, le tout rehaussé de chantilly et décoré de copeaux de chocolat noir et d’un bâton de cannelle. Une vraie tuerie ! renchéris-je.
— Je suppose que c’est pratique pour les pressés qui veulent le dessert et la boisson en même temps. Moi, je suis plutôt du genre café noir, simple et direct, vous voyez. Mais j’espère pour vous que ça attirera une foule de gourmands.
— Je l’espère aussi, réponds-je en imaginant déjà afficher un petit panneau victime de son succès sur le comptoir.
— À bientôt, Clémentine, lance-t-il avant de rejoindre son camion.
Je lui fais un signe de la main et alors que je m’apprête à refermer, j’aperçois Rémi qui arrive au coin du bâtiment, les yeux écarquillés comme s’il venait de croiser le Grinch en personne sur la place.
— Salut ! lancé-je joyeusement à mon jeune employé.
— Euh… salut Clém…
Il m’observe un peu trop longtemps en tordant la bouche. Même si Rémi est un peu étrange parfois, je décide que ce n’est pas un comportement habituel pour lui, de bon matin. Là on dirait qu’il hésite à me dire quelque chose.
— Il y a un problème ?
Pourvu qu’il ne m’annonce pas qu’il démissionne au bout d’un mois à peine. D’une, j’ai vraiment autre chose à faire que de devoir me trouver un autre serveur. Il n’est peut-être pas le Kylian Mbappé de la restauration, mais il compense ses erreurs de commandes par une humeur toujours égale et… C’est toujours ça, non ? De l’autre, avec le marché de Noël qui ouvre ce soir, j’ai bon espoir que le salon de thé fasse enfin le plein. Ce n’est pas le moment de tout foirer en étant court en personnel.
— Tu es sortie ? répond-il en passant sa main dans son épaisse chevelure blonde.
— Sortie où ? Dans la rue ? Tu as vu le froid qu’il fait ?
Il secoue la tête.
— Je veux dire, sur la place…
— Non. Je vais attendre que le soleil soit là pour aller voir le marché de Noël. De toute façon, les échoppes n’ont pas encore ouvert à cette heure-ci. Et d’après le prospectus de la mairie…
Il me coupe :
— Clémentine, tu devrais aller voir la devanture du café.
[1] En alsacien, « Oma » est un terme affectueux qui signifie « grand-mère ».
[2] Bien que nouvellement arrivée à Illwiller, Clémentine a décidé d’utiliser l’appellation locale. Suivant votre région d’origine, vous pouvez choisir de traduire dans votre tête par « pain au chocolat », « couque au chocolat », « croissant au chocolat » ou « chocolatine ».
Noël est une arnaque !
C’est ce qui a été tagué sur la façade de Comme chez soi. Chacune des lettres peintes en rouge exprime la colère, alors que le point d’exclamation final en est l’apothéose. La personne qui a écrit cette phrase assassine a déversé sa fureur, sans aucune considération pour mon mur fraîchement repeint. Son action me laisse totalement hébétée.
Pourquoi ? Pourquoi ici ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ?
— Celui qui a écrit ça n’a clairement pas été touché par l’esprit de Noël, constate Rémi à mes côtés.
Sa remarque me fait prendre conscience que j’ai été tellement absorbée par la détérioration de ma devanture que je n’ai pas pris en compte le message exprimé. La peinture est sèche et il sera difficile de la nettoyer. En plus, il y a déjà un petit attroupement sur la place. Noël est une arnaque ? Je suppose que c’est un point de vue… mais pourquoi avoir voulu l’exprimer sur MON commerce ? MON salon de thé tout neuf ?
— Peut-être qu’il aurait pu faire passer son message différemment ou… ailleurs…
— En tout cas, ne compte pas sur moi pour nettoyer ça, j’ai une tendinite au poignet.
— Tu as quoi ?
Rémi se dirige déjà vers l’intérieur comme s’il avait des choses plus urgentes à faire. Cela n’est pas totalement inexact, c’est déjà l’heure d’ouverture de Comme chez soi… mais personne n’a encore franchi la porte.
Je m’approche de l’inscription et la touche du bout du doigt. C’est bien ce que je pensais, la peinture est sèche. Et de longues heures dans les rayons des magasins de bricolage ces derniers mois m’ont apporté suffisamment d’expérience pour savoir que ce n’est pas le genre de peinture qui part avec un coup d’eau. Je la gratte du bout de l’ongle tel un détective chevronné cherchant des indices sous la surface. Malheureusement, l’identité de l’enfoiré qui s’est permis de vandaliser la devanture de ma boutique reste un mystère.
Zut !
— Hopla ! En voilà une idée d’inscrire ça sur votre façade en plein marché de Noël !
Je me retourne et constate qu’une vieille dame me dévisage, les sourcils froncés. Elle secoue la tête, l’air de penser que je suis un cas désespéré qui mériterait sa propre émission de téléréalité.
— Ce n’est pas moi qui…
Deux autres grands-mères aux bonnets colorés la rejoignent et elle ajoute comme si elle n’avait pas entendu ma protestation :
— On lui avait bien dit au vieux Muller de ne pas louer à une étrangère. En plein sur la place, alors que c’est l’inauguration du marché de Noël, ce soir ! Si c’est pas malheureux… Ces gens n’ont aucun respect pour nos traditions. Je vais en parler au maire, tiens. Autoriser que quelqu’un qui est anti-Noël s’installe juste ici, ce n’est pas normal !
— Je ne suis pas anti-Noël !
Elles peuvent bien râler concernant la présence de ce tag, parler de moi comme si je n’étais pas là, mais insinuer que je suis anti-Noël ? Ça, je ne l’accepte pas. Une des deux vieilles fronce le nez et me demande :
— Ah oui ? Et où sont vos décorations ?
Je lance un regard nerveux en direction de ma vitrine. C’est exactement dans ce genre de moments que la magie de Noël devrait exister ! Une armée de petits elfes aurait dû débarquer pour relooker mon salon de thé et rabattre le caquet de ces vieilles pies donneuses de leçons. Mais où sont-ils ? On vous le demande ! Certainement en train de siroter des chocolats chauds et de se gaver de bredele[1] au pôle Nord, sans se soucier le moins du monde des petits commerçants en détresse qui auraient bien besoin d’un coup de main magique pour affronter les défis de l’entrepreneuriat !
— Eh bien…
— Vous voyez ? dit-elle à ses acolytes. Aucun respect des traditions !C’est une honte, vraiment.
Elles marmonnent la suite dans leurs barbes et moi, je reste les bras ballants à les observer. Je ne suis pas le genre de personne qui est capable de les remettre à leur place en une réplique bien sentie. Je déteste la confrontation. Je suis une personne gentille. Selon ma famille, je suis une bonne fille et j’ai toujours eu d’excellents rapports de voisinage. Et d’après les résultats de ce quiz que j’ai trouvé l’année dernière dans un magazine de la salle d’attente de mon dentiste (il datait de 2010, mais les critères sont toujours les mêmes, je suppose ?), je suis du genre à vouloir faire plaisir aux autres. Je ne suis pas douée pour proférer des menaces, même si je suis fallacieusement attaquée par trois mamies démoniaques qui s’érigent en pourfendeuses de l’esprit de Noël bafoué.
Alors, je fais ce que je sais le mieux faire dans ce genre de situation : je bats en retraite. Je passe la porte du café, mais là où je m’attendais à être saisie par l’odeur de cannelle et d’épices qui a toujours le don de m’apaiser, c’est une atroce odeur de brûlé qui m’assaille les narines.
— Rémi !
Derrière le comptoir, mon employé sursaute.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu m’as fait peur, j’ai failli lâcher la tasse !
Je ne lui rappelle pas que je lui ai déjà interdit de jongler avec le matériel. Mais qu’il se prenne pour le Tom Cruise de la théière est le dernier de mes soucis, à l’instant.
— Tu ne sens pas le brûlé ?
Je n’attends pas sa réponse et fonce dans la cuisine. Une fumée noire comme celle d’un conclave non abouti sort du four. Comme je le redoutais, la fournée de petits pains a cramé. Je soupire en retirant les dépouilles calcinées des pâtisseries. Rémi lance derrière moi :
— Tout va bien ?
— Non, tout ne va pas bien !
Je jette rageusement la plaque pâtissière dans la plonge et Rémi me regarde faire avec les yeux écarquillés. Je sais que je ne l’ai pas habitué à des démonstrations de colère. Mais là, il n’est même pas 8 heures et la journée que je pensais bonne a déjà pris un sacré plomb dans l’aile.
— Pardon… je suis un peu sur les nerfs.
Ce n’est rien de le dire.
— Je peux faire quelque chose ?
Je le fixe pendant quelques secondes. Rémi est un gentil garçon, il n’est pour rien dans cette histoire de tag et je ne lui ai jamais demandé de surveiller le four. Vu que nous sommes directement allés sur la place à son arrivée, il ne savait peut-être pas que les viennoiseries y étaient. OK, ça sent le brûlé et la cuisine est envahie par la fumée. Mais que voulez-vous, il est garçon de café… pas pompier. Et c’est probablement mieux pour les victimes d’incendie d’ailleurs.
— Lance une nouvelle fournée. Je vais essayer de trouver quelque chose pour nettoyer la façade.
Il se met immédiatement au travail et moi, je pars à la recherche d’un seau, d’une brosse et du détergent le plus corrosif que je possède. Quelque chose me dit que ça ne va pas suffire, mais je ne vais pas attendre que l’inscription disparaisse d’elle-même. J’enfile aussi une paire de gants en néoprène.
Je sors sur la place où les gens s’arrêtant pour regarder ma façade sont encore plus nombreux que tout à l’heure. Le contraste est d’autant plus saisissant que Comme chez soi n’a pas l’ombre d’un client à l’horizon. Un homme sort son téléphone et prend une photo. Génial ! Comme si j’avais besoin de ce genre de pub !
Je commence à frotter énergiquement. Moi qui pensais que poncer le vieux comptoir pendant les travaux m’avait fait les bras, je me rends compte que c’était un jeu d’enfant à côté de ça ! La peinture est accrochée à la façade comme un tatouage sur la peau d’un marin, impossible à retirer. Il a fallu que mon graphiste improvisé décide de ne pas lésiner sur la qualité de la peinture. Quelle poisse !
— Excusez-moi…
Je sursaute à la manière de Rémi un peu plus tôt. Ce n’est pas la première fois qu’un des passants s’adresse à moi, soit pour insulter mon esprit anti-Noël (après le cinquième, j’ai arrêté de protester), soit pour me donner un conseil de nettoyage (tous se sont avérés bidon jusqu’alors). Mais là, la personne est vraiment proche, a un ton ferme et… porte un uniforme de gendarme !
Pourquoi la gendarmerie est là ?
Je suis une bonne citoyenne. Je paie mes impôts, je m’arrête aux passages piétons, je règle mes amendes qui, hormis un léger excès de vitesse, il y a quelques années, n’ont jamais porté sur des choses plus graves qu’un oubli de payer mon stationnement. Mais malgré le fait que je n’ai rien à me reprocher, je suis le genre de personne qui se met automatiquement à stresser dès lors qu’un représentant de la loi s’adresse à elle. Surtout quand il porte un uniforme et la dévisage d’un air sévère.
Un air sévèrement séduisant, mais sévère tout de même.
— Vous êtes la responsable ?
Au moment où il me pose cette question, ses yeux glissent vers mes gants en néoprène que je lève devant moi comme pour me protéger. Me protéger de quoi d’ailleurs ? Aucune idée. Ça ressemble vaguement à une tentative pour éviter qu’il ne me tire dessus. Mais il ne me fusille même pas du regard. Il a l’air plutôt… décontenancé ?
Ah oui, mes gants sont roses avec des petits canards jaunes. Ça semblait une super idée au moment où je les ai achetés. Pour rendre le ménage rigolo ! Mais j’étais censée récurer des toilettes en privé, pas une façade devant la moitié du village et un gendarme sexy.
Oui, même si je suis en train de suer à cause de l’effort et de tout ce stress de gentille fille impressionnée par un uniforme, je ne suis pas aveugle. Le gendarme est sexy et je pense qu’il le sait. Sinon, il ne se permettrait pas de juger avec autant de dédain mes petits canards. Cette idée me rassérène. Je vais lui montrer que j’assume clairement mon choix de gants ménagers. Je carre mes épaules et relève mon menton.
— Oui, c’est bien moi, lancé-je d’une voix claire.
— Madame, les services de la mairie m’ont signalé le tag sur votre façade…
— Ce n’est pas moi qui l’ai fait ! le coupé-je avec véhémence.
Il hausse un de ses sourcils bruns et rétorque avec une légère pointe d’ironie dans la voix :
— Je n’en doute pas, Madame. Sinon, vous ne seriez pas en train de frotter le mur avec autant d’ardeur, pour aussi peu de résultat.
Je le fixe bouche bée pendant une seconde. Il a du toupet tout de même !
— À moins que vous soyez là pour me prodiguer un conseil infaillible pour faire disparaître ce truc immonde de mon salon de thé, je vous prie de garder vos commentaires sur ma technique de nettoyage pour vous.
Au moment où je finis ma phrase, deux camps s’affrontent en moi. D’un côté celui qui m’acclame pour avoir su répliquer du tac au tac, et de l’autre celui qui me hurle : « Ça ne va pas de lui parler comme ça ? C’est un gendarme ! Il a un flingue, des menottes et la menace de l’outrage à agent pour lui ! ».
Instantanément, tout esprit de rébellion quitte mon corps. Et ce n’est peut-être pas plus mal, car il annonce :
— Avoir un tag sur sa façade est une infraction à la réglementation municipale sur la propreté et l’image de la ville.
— Hein ? Mais… mais… ce n’est pas moi qui l’ai fait !
— J’ai bien compris. Mais la mairie prend ces incidents très au sérieux. D’autant plus quand il s’agit d’un tel message, vu le contexte…
Il désigne d’un signe de tête les petits chalets en bois du marché de Noël. Pour ma part, je prends une grande inspiration avant de répondre, et j’articule chaque syllabe :
— Je n’ai jamais souhaité avoir ma devanture taguée avec un tel message. Et honnêtement, j’avais vraiment autre chose à faire de ma journée qu’essayer de nettoyer ce truc.
Le gendarme me dévisage un long moment, comme s’il essayait de juger si je dis vrai. Je ne sais pas s’il est conscient que je vois clair dans son petit jeu. L’uniforme lui va peut-être bien, mais question perspicacité, il ne risque pas de remporter le prix Nobel. C’est peut-être pour ça qu’ils l’ont missionné d’ailleurs. On n’envoie pas la truite la plus oxygénée de la rivière pour un simple graffiti, on la garde pour des choses sérieuses comme… je ne sais pas… les meurtres ? Est-ce qu’il y a beaucoup de meurtres à Illwiller ? J’en doute. Mais sait-on jamais, un coup de fusil est vite parti en cas de conflit de voisinage.
Ses yeux gris me fixent assez longtemps pour que j’aie tout loisir de le détailler : coupe de cheveux courte, châtain, bâti comme un participant de Ninja Warrior, pommettes saillantes et rasées de près. Il serait bien plus séduisant avec un sourire et sans cette expression dédaigneuse, mais ce n’est probablement pas plus mal. Il ne manquerait plus que je le trouve sympathique, alors qu’il est clairement en train de me reprocher une chose contre laquelle je ne peux rien.
— Bonjour !
Une voix enjouée interrompt notre confrontation silencieuse. Nous tournons tous les deux la tête vers une femme qui nous sourit en tenant son téléphone comme si elle nous filmait ?
— Clémentine Latour, c’est ça ?
— Euh… oui.
— Bonjour, Clémentine, je suis Sophie Hoffmann, journaliste pour Les Dernières Actus d’Illwiller. Des Illwillerois préoccupés nous ont informés ce matin du message de protestation qui s’affiche sur votre salon thé. Pourquoi ce message : « Noël est une arnaque » ? Est-ce par protestation envers l’hyper-consumérisme de cette période ? Ou plus simplement un rejet des traditions ancrées dans le patrimoine même de l’Alsace et des Alsaciens, si j’ose dire ?
Je la fixe en clignant des yeux, balbutiant quelque chose qui ressemble vaguement à :
— Euh… eh bien… euh…
Heureusement pour moi, le gendarme intervient :
— Sophie, ce n’est pas vraiment le moment…
La journaliste lui adresse un sourire mielleux.
— Voyons Loris, je ne fais que mon travail de journaliste. Comme, je suppose, vous êtes en train de faire le vôtre. Avez-vous une déclaration à faire ? La gendarmerie est sur le coup, je constate. Est-ce que Mlle Latour est considérée comme coupable de dégradations et…
— Stop ! lui intime-t-il d’une voix ferme.
Cela semble à peine l’ébranler, alors que je suis persuadée que s’il avait usé du même ton avec moi, j’aurais été prête à avouer avoir tagué ma propre devanture, voire un ou deux autres délits commis en ville par la même occasion. Parce que si je lui trouvais l’air peu avenant tout à l’heure, maintenant il pourrait faire passer Voldemort pour un directeur de croisière.
Elle lève les yeux au ciel et rétorque :
— OK, je vais dire que vous ne faites pas de commentaire, comme d’habitude…
— Exactement. Et sentez-vous libre de réutiliser cette réponse à peu près toutes les fois où vous aurez besoin de me poser des questions.
Elle secoue la tête pour signifier son agacement mais recule tout de même. Le gendarme grognon se reconcentre sur moi :
— Madame Latour, il va falloir se débarrasser de ce graffiti. Et plus tôt ce sera fait, mieux ce sera pour tout le monde.
— Je vais faire de mon mieux, promis…
Il m’observe une longue seconde avant de répondre :
— Tant mieux… et bon courage.
J’ai à peine le temps de marmonner un merci qu’il a déjà tourné les talons pour s’éloigner.
[1] Bredele ou bredala : biscuits typiques alsaciens que l’on confectionne à l’occasion des fêtes de fin d’année. Il en existe plusieurs sortes.
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